Antoine Duhamel, alter ego musical de Truffaut et compositeur en mouvement, est mort
HOMMAGE | Il avait composé la musique des films des plus grands réalisateurs de la Nouvelle Vague (Truffaut, Godard), et avait aussi travaillé pour Tavernier, Leconte... Antoine Duhamel est mort, à l'âge de 89 ans.
Stéphane Jarno
Antoine Duhamel était un homme pressé. Le compositeur de 89 ans vient de tirer sa révérence à quelques jours de l'ouverture de la grande rétrospective François Truffaut à la Cinémathèque. Membre éminent de ce quintette majeur (Georges Delerue, Michel Legrand, Maurice Jarre, Pierre Jansen) qui dessina les contours musicaux de la Nouvelle Vague, Duhamel a manqué une fois de plus les hommages officiels. Certes, il ne courait pas après les sirènes médiatiques, mais le célébrer de son vivant aurait eu plus de panache qu'honorer sa mémoire.
Avec sa barbe fleurie, ses énormes lunettes, ce grand échalas d'un mètre quatre-vingt dix ne passait pourtant pas inaperçu. Capable de mettre le souk dans de grands hôtels cannois comme de déambuler dans les tenues les plus inattendues, ce mélange de Don Quichotte et de Professeur Tournesol – comme le décrit Stéphane Lerouge dans la passionnante monographie qu'il lui a consacrée (1) –, promenait partout son grain de folie douce. Le réalisateur Patrice Leconte se souvient d'« une espèce d'oiseau agité, tout le temps en mouvement même quand il était assis ».
Fils de l'écrivain Georges Duhamel, élevé dans un milieu d'artistes et d'intellectuels, le jeune Antoine embrasse la passion musicale paternelle et franchit toutes les étapes qui mènent du Conservatoire à la recherche. Il étudie auprès Olivier Messiaen et René Leibowitz, s'initie aux arcanes du dodécaphonisme et s'engage sur le chemin ardu des compositeurs dits « sérieux ». Mais cet authentique original, cet homme qui n'a jamais su se prendre totalement au sérieux a trop de curiosité en lui pour se limiter à un seul langage. Il s'intéresse au cinéma dès le début des années soixante, mais sans succès, il se tourne alors vers la musique publicitaire. En 1963, Duhamel signe à la fois le thème entêtant de Belphégor, la série télévisée à succès de Claude Barma et la partition de Méditerranée. Remarquable et remarquée, la partition de ce « film d'auteur » lui ouvre toutes grandes les portes de la Nouvelle Vague, il devient l'alter ego musical de Truffaut (Baisers volés, Domicile conjugal, L'Enfant sauvage) et de Godard (Pierrot le fou, Week End).
Plus tard il travaillera notamment avec Bertrand Tavernier (Que la fête commence,La mort en direct) et Patrice Leconte (Ridicule). Sans jamais renoncer à la composition classique ! Son oeuvre compte une soixantaine de bandes originales, mais aussi neuf opéras et nombre de pièces concertantes, symphoniques ou d'inspiration religieuse. Cet éclectisme passe mal, et comme Maurice Jarre, il expérimente la difficulté de ne pas choisir, de vivre et travailler hors coteries et chapelles. Tenu pour un marchand du temple par ses anciens condisciples qui le fuient (le désamour de Pierre Boulez le blesse), sa culture et son implication indisposent aussi dans le septième art.
Alexandre Desplat, qui le revendique avec Georges Delerue comme l'une de ses influences majeures, écrivait à son propos en 2006, « A partir du moment où un film le concerne et l'inspire, il s'y intègre cérébralement. Il va penser à la structure dramaturgique, au non-dit, à l'impact conscient ou inconscient de la musique sur le spectateur. Car Antoine est un compositeur doublé d'un intellectuel ». Célèbre pour ses coups de gueule et son franc parler, Antoine Duhamel effraie et déroute. Pas le genre à se coucher devant les réalisateurs. Sa longue carrière est ainsi jalonnée de projets mort-nés et de collaborations avortées, comme avec Eric Rohmer ou Olivier Assayas. Cet homme pour lequel « un parcours se construit non tout aussi souvent que oui », avait des valeurs et essayait de s'y conformer. « Je ne compose pas de musique de fil par fonction, mais par conviction. Si l'on veut s'exprimer avec sincérité, il faut être touché par le sujet, sentir la confiance du metteur en scène. Je ne peux pas écrire pour des images qui véhiculent des idées trop éloignées des miennes. Ça m'a amené à refuser de très bons films , La 317e section de Pierre Schœndœrffer, par exemple. J'y sentais confusément une idéologie de droite, un côté militariste qui me déplaisaient ». De l'art d'être populaire sans cesser d'être exigeant…
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